Marabout 3.0

Marabout, photographies et sculptures
Dakar, Bamako, Douala, Abudja 2017-2020

Marabout trois point zéro Par LAMYNE M
D’origine Peul comme l’est le terme gris-gris, ayant fréquenté l’école coranique et les rites traditionnels, je connais depuis l’enfance le syncrétisme magico- religieux et ces objets qui puisent leur origine et leur efficacité sociale dans la volonté universelle des humains à influencer leur destin. Les religions monothéistes interdisent et punissent les faiseurs et utilisateurs de « gris-gris », «amulettes », « talismans », « fétiches », ce que l’islam nomme Chirq (pratique occulte et sorcellerie). Mais cela n’empêchent pas la persistance et l’omniprésence de leurs usages par les musulmans, les chrétiens et les juifs, dans des contextes et pour des motifs très contemporains : conflits matrimoniaux, match de foot, examens scolaires, élections politiques, périples migratoires…

Le voyageur émigrant et ses gris- gris
Ainsi, du jour de son départ à l’arrivée, le voyageur émigrant a, pour seul bagage, son baluchon et ses gris- gris. Si le passeur est celui qui permet le passage d’un pays à un autre, on ignore qu’à la source de ce chemin de croix se trouve souvent un homme de pouvoir : le marabout. Le choix de partir pour un avenir meilleur n’appartient pas toujours à celui qui fait l’expérience de l’immigration.
Nombreuses sont les familles qui consultent un marabout et s’en remettent à ses paroles pour persuader un enfant, un jeune adulte ou un parent de tenter l’aventure. A la fois prêtre musulman, commerçant, lettré ou maître d’école, les marabouts sont des personnages importants et respectés, dont l’autorité est basée sur la connaissance du Coran. Le pouvoir du gri-gri, directement lié au pouvoir du marabout qui le fabrique et qui est le seul à en connaître le secret,convainc et rassure les prétendants au voyage. Les gris-gris deviennent des symboles de protection pour le voyage migratoire.

Gris -gris détournés, gris-gris réinventés
Lors de mes nombreux voyages en Afrique, j’ai commencé à collectionner, puis fait confectionner de nombreux grisgris que je souhaiterais aujourd’hui exposer dans un Musée une Biennale,une une galerie . Réalisés à Bamako, Dakar, Niamey, Ndjamena, Lagos, Akra, Lomé, Yaounde, etc.. par des artisans spécialisés dans la production d’amulettes, ces gris-gris sont fabriqués à partir de squelettes d’animaux, becs, pattes, cornes, queues ou sabots, avec des peaux, bois et des cuirs. Une collection d’une vingtaine de pièces concerne principalement la réussite migratoire. Chaque pièce, unique, est confectionnée en fonction d’un besoin : un gris- gris pour ne pas dépenser tout son argent pendant le voyage, un gris- gris pour obtenir rapidement des papiers, un autre pour une intégration rapide, une réussite sociale,
une assurance tout risque, ou encore contre le contrôle au faciès.

Il y a aussi le gris- gris collectif contre Frontex – minimum 60 personnes – ou pour détourner les missiles tomahawk. Dans certains pays, je me suis présenté comme candidat à l’émigration pour obtenir des gris-gris, dans d’autres, la forme des gris-gris résulte de la rencontre entre les modes de fabrication locales et mon regard d’artiste. Les ingrédients du charme sont secrets
alors que le principe de l’oeuvre est d’être visible. Mes amulettes sont dès lors la rencontre entre ces efficacités a priori contradictoires. Par exemple, je demande au marabout de ne pas broyer la patte d’aigle utilisée dans la fabrication d’un gris- gris, ce qui modifie sa forme et sa dimension. Les intentions portées par les amulettes sont issues de ma propre expérience migratoire et de mes rencontres avec tous les voyageurs, migrants ou immigrés, qui confient à ces charmes la faculté de travailler à changer
leurs destins. Réalisée à Dakar lors de la biennale 2016, ma dernière série a été fabriquée par des artisans Haoussa nigériens, avec le concours du marabout « officiel » des lutteurs. Si la composition de ces objets doit rester secrète tout comme le nom des artisans et marabouts qui m’ont aidé à les réaliser, Marabout 3.0 se veut un pont entre deux efficacités : celle de la magie et celle de la création.